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INTERVIEWS > Jean-Jacques Milteau

Interview réalisée en juillet 1998
par Cédric Vernet

  
             
Ma rencontre avec Jean-Jacques MILTEAU fût un des moments forts de l'histoire de l'émission. Celle-ci a eu lieu en Juillet 1998, à Avignon où il était venu assister au festival de théâtre. Vous trouverez ci-dessous quelques extraits du long moment que nous avons passé ensemble au salon de son hôtel.

 
Bluesactu.com : Sur votre site Internet, on peut lire : « Un soir de 1965, Jean-Jacques MILTEAU fût touché au cœur par le blues ». Que s'est-il passé ce fameux soir de 1965 ?

Jean-Jacques Milteau : Je ne sais pas si c'était un soir mais la formule n'est pas de moi ! Le soir évoque peut-être plus le blues, la solitude et l'anxiété de la nuit qui s'avance. En réalité, j'ai entendu un harmoniciste qui s'appelait Sonny Terry pour la première fois de ma vie. J'ai été littéralement sidéré. J'avais déjà entendu un peu d'harmonica et comme j'avais le désir de participer à une vague Folk-Rock, Blues revival - sans savoir vraiment à quoi ça correspondait - j'avais acheté un harmonica. Mais je n'avais aucune idée du répertoire de l'instrument avant qu'un copain achète un disque et me demande de l'écouter. J'ai alors entendu la fameuse version de 1954 de « Lost John » de Sonny Terry, qui est un titre absolument extraordinaire. Ce qui était très impressionnant dans cette musique, c'est qu'il s'agissait d'un espèce de croisement des cultures et des siècles. C'était à la fois très rythmique et très expressif par les cris - qui évoquaient un prisonnier évadé - et les notes altérées. Ca ressemblait à la fois à de la musique africaine et à des rythmes Appalaches, Est des États-Unis d'où Sonny Terry est originaire.

 
Bluesactu.com : Pourquoi vous êtes-vous précisément orienté vers l'harmonica ?

Jean-Jacques Milteau : Je crois que lorsqu'on est adolescent on a le besoin de participer à quelque chose de collectif et d'unique avec d'autres personnes de son âge. On n'a pas envie de ressembler à tout le monde et j'espère que c'est toujours pareil ! J'ai acheté un harmonica parce qu'il y avait une certaine vague Folk-Rock à l'époque avec des types comme Dylan, Donovan, The Rolling Stones, John Mayall, etc. Je me suis retrouvé avec cet instrument entre les mains parce que c'était financièrement abordable. C'est une des premières raisons qui fait que les gens achètent un harmonica et ce n'est pas la plus mauvaise. J'ai découvert le répertoire de l'harmonica et ses débouchés beaucoup plus tard.

 
Bluesactu.com : L'harmonica a joué un rôle assez inattendu dans l'histoire de la musique alors qu'il était destiné à être un jouet pour enfant. Comment expliquez-vous le succès qu'à connu cet instrument ?

Jean-Jacques Milteau : Je pense que l'harmonica a été d'abord très populaire chez les enfants. Cela est peut-être moins vrai maintenant puisqu'il y a des jeux plus sophistiqués mais pendant presque un siècle, ça a été un instrument de môme. C'est très important parce que quand on s'intéresse à quelque chose en étant gosse on s'en rappelle toute sa vie. Il y a des gens qui, en grandissant sont restés très enfants, ont continué à jouer de  l'harmonica et l'ont après amené dans des situations tout à fait exceptionnelles. Je crois que la particularité de l'harmonica c'est d'avoir été mis en exergue dans une seule musique qui est le blues. C'est l'unique musique qui en a fait un instrument officiel. Toutes les autres musiques le considèrent comme un instrument d'enfant. Ceci n'est pas particulièrement gênant mais il ne faut pas perdre de vue que l'harmonica est joué dans le monde entier. Je reviens de Chine où j'ai passé un mois et j'ai trouvé énormément de clubs d'harmonica. Au Japon, pendant très longtemps on a appris la musique en jouant de l'harmonica. Le blues est apparemment une musique très jeune d'esprit puisque des gens comme Sonny Boy Williamson qui est mort après 70 ans avait une façon de transcender l'instrument très particulière. C'est la seule fois où l'harmonica s'est retrouvé au devant de l'orchestre.

 
Bluesactu.com : Dans l'humanité on pouvait lire à votre sujet : « Racines Blues, esprit Jazz et énergie Rock ». Êtes-vous d'accord avec cette description et  quels ont été les gens qui ont joué une importance capitale dans votre initiation ?

Jean-Jacques Milteau : Je suis d'accord et extrêmement flatté de cette définition ! Ca résume en tout cas ce que j'aimerais faire. C'est très difficile de citer les grandes influences parce que tout est influence, pas uniquement la musique. Ce qui est le plus passionnant c'est de jouer sur scène devant des gens. L'enregistrement des disques est passionnant mais il y a un côté laboratoire. Quand on joue devant un public on se rend compte que ce qui est difficile c'est d'arriver à partager une passion, un moment, une émotion. C'est ça qui déclenche cet espèce de paroxysme qu'on recherche tous. On se retrouve donc influencé par des tas de choses qui ne sont pas uniquement musicales. En ce qui concerne la musique, c'est vrai que le blues m'a profondément marqué étant adolescent. C'est quelque chose qui reste gravé. J'ai eu la sensation à l'époque, que j'ai peut-être moins maintenant avec le blues actuel, d'un grande authenticité. Il y avait dans cette musique à la fois une économie de moyens et une puissance de captation de l'attention et de l'émotion qui était tout à fait extraordinaire et que j'ai un peu plus de mal à retrouver maintenant dans les productions blues et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, à l'époque, les gens enregistrés étaient d'un âge avancé. Il y avait une grande authenticité et une vraie prise sur quelque chose de réel. J'ai la sensation maintenant que le blues étant une musique beaucoup plus connu, il y a tout un espèce de cérémonial autour du blues qui est toujours le même. Tous ces bluesmen ont été pour moi une forme d'inspiration. Ils m'ont vraiment marqué donc je ne les remercierai jamais assez.

 

Bluesactu.com : Votre rencontre avec Charlie Mc Coy a également été décisive ?

Jean-Jacques Milteau : Oui. Je le connais depuis plus de vingt ans. Je jouais avec Eddy Mitchell à la fin des années 70. Eddy avait fait venir Charlie Mc Coy au palais des congrès et on avait joué à deux harmonicas ce qui était tout à fait exaltant pour moi car j'étais un débutant. C'était extrêmement gentil de la part d'Eddy de me garder  alors qu'il faisait venir quelqu'un d'aussi chevronné. Depuis cette époque, j'ai beaucoup d'amitié envers  Charlie qui est un type tout à fait charmant et cultivé ce qui est assez rare chez un musicien américain.

 
Bluesactu.com : Cet instrument vous a apporté de grandes joies. Vous dites d'ailleurs la chose suivante : « L'harmonica m'a permis d'être victime d'une victoire de la musique, de serrer la main d'un ministre et la gorge d'un manager véreux mais surtout a côtoyer des musiciens, des vrais, des grands, des humains ainsi que le public qui va avec ». Quels ont été les plus beaux moments de votre carrière ?

Jean-Jacques Milteau : Comme je le disais précédemment ce n'est pas uniquement musical. La musique est indissociable de la vie autour. C'est avant tout un véhicule qui m'emmène vers les gens et emmène les gens vers moi. Cet instrument à complètement changé ma vie. Le fait d'avoir acheté un petit harmonica à 7,50 Frs quand j'étais adolescent me permet d'être avec vous ce soir et de parler de choses que j'aime, de faire un métier que j'aime, avec des gens que j'aime et d'aller à la rencontre de publics dans tous les coins de France et du monde. C'est un privilège tout à fait extraordinaire. L'harmonica a une symbolique extrêmement forte dans le sens où c'est un petit truc insignifiant et dérisoire comme il y en a plein dans la vie mais ça peut déclencher pleins de choses.

 
Bluesactu.com : Ces musiciens, « les vrais, les grands, les humains », vous les avez réuni lors d'un surprenant album, « Merci d'être venu » qui est un hommage aux 100 ans de votre harmonica, le Marine Band. On y retrouve des noms comme Francis Cabrel, Maxime Le Forestier, Charles Aznavour, Michel Jonasz, Eddy Mitchell, etc. C'est la plus belle marque de reconnaissance qu'un musicien puisse attendre de la part des gens pour lesquels il a joué que ces derniers inversent les rôles le temps d'un album ?
Jean-Jacques Milteau : Tout à fait. C'est extrêmement touchant. Jean-Yves d'Angelo et moi avons un petit studio très modeste en région parisienne où nous produisons mes albums. On a vu arriver dans la cour de ce studio, l'un après l'autre, des gens comme Charles Aznavour, Claude Nougaro, Eddy Mitchell et les autres. Ça fait très bizarre tout à coup de voir les gens venir à soi simplement parce qu'on leur a donné un petit coup  de fil. Ça les a beaucoup fait rire parce que ce sont des gens très sollicités pour des causes importantes. C'était un peu un gag de venir jouer pour l'anniversaire d'un harmonica ! Il y avait un côté deuxième degré.
 
Bluesactu.com : Tous les musiciens sollicités sont-ils venus ?
Jean-Jacques Milteau : Pratiquement. Mais ceux qui ne sont pas venus avaient des raisons soit contractuelles avec la maison de disques ou d'emploi du temps. Johnny était d'accord pour enregistrer une très belle version de « Toute la musique que j'aime » mais on n'a jamais pu organiser ça pour des raisons d'emploi du temps. Pour Véronique Samson et Jean-Jacques Goldman, les maisons de disques n'ont pas voulu. Je comprend très bien que ça puisse se produire mais ça n'en donne que plus de prix aux gens qui sont venus.
 
Bluesactu.com : Comment se sont faites ces rencontres et sont-elles avant tout humaines avant d'être professionnelles ?
Jean-Jacques Milteau : Non, c'est avant tout des rencontres professionnelles. Il y a une grande part de hasard mais il y a surtout une énorme part de rencontres, c'est-à-dire qu'il faut jouer, rencontrer un maximum de gens et accepter des choses qui peuvent paraître désuètes à première vue mais qui finalement vous amènent à rencontrer des gens. Ça s'est passé comme ça pour moi. J'ai commencé à faire des séances d'enregistrement au début des années 70 car j'étais un des seuls à jouer de ce style d'harmonica blues. Lorsque l'album « Rock'in Nashville » d'Eddy avec Charlie Mc Coy est sorti, les gens ont découvert l'harmonica. J'ai alors joué avec Dick Rivers puis avec Eddy et ainsi de suite. Il faut aussi savoir se manifester au bon moment.
 
 
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