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LES
INTERVIEWS DU
BLUES CAFE |
Special
MIDEM 2005
Rencontre avec
PHILIPPE LANGLOIS
&
BERNARD VILLENEUVE
Interviews
réalisées au MIDEM à Cannes le 24/01/05
par Cédric Vernet
"Le disque est mort ! Vive le téléchargement
légal !". Voici ce qui aurait pu être le slogan du MIDEM édition 2005.
Longtemps la cause de tous les maux de l'industrie musicale, la musique
numérique est
aujourd'hui érigée en sauveur d'une profession usée par une crise qui n'en
finit plus ... Quand on débarque au MIDEM, on comprend d'ailleurs très vite
que l'industrie musicale est en pleine mutation : les banderoles
monumentales qui ornent le palais des festivals ne sont plus érigées pour
promouvoir les marchands de disques traditionnels. Elles vantent désormais,
et pour la première année, les mérites des vendeurs de musique numérique. Bien
plus qu'un symbole ...
Il est vrai que le téléchargement légal, boosté par des plates-formes
comme iTunes ou Napster, a rapporté 10 fois plus de profit en 2004. Bonne
nouvelle diront certains ! Sauf que 10 x 0 feront toujours 0 et les nouveaux
profits générés sont loin, très loin, de compenser les pertes de l'industrie
du disque. Cette mutation de la consommation de la musique ne va-t-elle
profiter qu'aux majors qui vont pouvoir se spécialiser dans la
vente de tubes
formatés
au coup par coup ou de sonneries de portables ? Comment les labels
indépendants réagissent et anticipent ces nouveaux modes de diffusion ? La
parole est donnée à deux responsables de labels français qui ont fait le
choix, par passion, de se spécialiser dans ce qu'il est convenu d'appeler
une niche : le blues.
Rencontre avec Philippe Langlois (Gérant du label Dixiefrog) et Bernard
Villeuneuve (Directeur de Willing Productions) lors de ce 39e MIDEM
à Cannes.
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Les majors compagnies se sont fait
beaucoup entendre sur la crise du disque. Comment cette
crise a également frappé les labels indépendants ?
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Philippe Langlois
: Elle a touché tout le
monde de la même façon ! Brutalement, depuis mai 2003, j'ai perdu au
moins un tiers de mon marché. Majors ou petits labels indépendants,
c'est pareil, tout le monde souffre. C'est une connerie de dire que
les majors souffrent et que les indés tirent les marrons du feu. C'est
le même combat, la musique a un coût, elle doit être payée.
Bernard Villeuneuve : C'est une hérésie de voir les
majors pleurer maintenant car c'est quand même eux qui ont provoqué
en grande partie cette crise du disque. Il y a, à mon avis, trois
causes principales à la crise du disque. La première c'est l'espèce de
marketing à la con que les majors ont fait sur des produits comme Star
Ac' où on joue d'abord sur l'image en
oubliant l'artistique. La deuxième raison c'est leur attitude face au prix
du disque. On met un disque à 20 € dans un magasin et 3 mois après
on le trouve à 10 € voire 4 ou 5 € dans des grandes surfaces ! Les
gens ne sont pas dupes et s'ils peuvent télécharger de la musique
gratuitement ils le font ! Troisièmement, on constate que le peer-to-peer et les échanges de fichiers légaux sont des systèmes qui
bénéficient essentiellement aux majors car c'est plus pratiqué par des
gens de 15 à 25 ans. Ça touche donc beaucoup plus Eminem ou Britney
Spears que des disques de blues ou de world music. Je ne crois pas
beaucoup aux plateformes de téléchargement légal car c'est quelque
chose qui va être porté par une industrie et non plus par des gens qui
aiment la musique.
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Comment évolue le marché du disque
blues en France ? |
Philippe Langlois : Il évolue mal comme
tout le marché du disque. On est dans une économie où les ventes ont
chuté de plus de 30%. Rien n'est récupéré du côté du téléchargement
qui est, aujourd'hui encore, illégal à 99%. Tout le monde considère
que le téléchargement légal rapportera 10% des gains de la profession
en 2006 et 30% en 2008. Entre temps avec quoi l'industrie va vivre ?
Avec quoi les artistes vont vivre ? On est en train de tuer le CD qui,
à mon avis, est un bon produit alors que c'est sur le CD que les
professionnels du disque vont vivre dans les 5 ans. Le CD a besoin de durer encore 10 ans pour faire la soudure avec
le téléchargement. Je ne crois pas à ceux qui proclament la mort du
CD. C'est un produit utile, il ne faut pas le flinguer !
Bernard
Villeuneuve : Le marché est assez morose, fragile pour beaucoup de
raisons. On peut citer l'attitude des magasins qui sont happés par
cette surenchère de produits, par le fait qu'il faut vendre très vite
les produits. Par exemple, le DVD présente des marges plus
intéressantes pour le vendeur donc on va prendre du linéaire pour ce
qui rapporte et on va écraser le linéaire du blues ou de la world
music qui ne rapporte pas assez. La difficulté d'amener les disques
dans les bacs fait que le marché est plus difficile. On n'est pas
aidés non plus par les médias. La presse spécialisée, les radios blues
c'est très bien mais ça ne touche qu'une petite niche de puristes.
C'est dommage que ces gens-là ne soient pas aussi ouverts qu'ils prétendent l'être. L'attitude des journalistes est d'aller chercher
toujours le petit truc pas connu, très loin, inaccessible et on zappe
très vite sur quelque chose qu'il faut défendre.
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Lors de ce MIDEM, tous les
professionnels semblent unanimes pour dire "Le CD est mort, vive le
téléchargement légal !". Vous partagez ce constat ? |
Philippe Langlois : Non, car le téléchargement légal
part de zéro ! Si on dit que, dans 2 ans, ça fera 10% des
gains de la profession, ça signifie que 90% des gains continueront de
se faire sur le CD, le DVD voire les sonneries de portables pour les
majors ! Il faut un format audio. On ne va pas regarder du DVD tout le
temps ! Quand j'étais ado j'ai écouté 200 fois le concert à Cologne de Keith Jarrett. Je n'aurais même pas regardé une fois Keith Jarrett en
train de jouer du piano, je m'en fous ! Quand on fait son jogging ou
la vaisselle on écoute de la musique, on n'a pas besoin de la regarder.
Le DVD est un bon produit pour montrer un concert, un artiste dans son
intimité. Tous les 3 ou 4 ans, un DVD d'un artiste c'est intéressant
mais il faudra toujours un support audio.
Bernard
Villeuneuve : Je me souviens que lors du MIDEM 1997 les
professionnels annonçaient déjà la fin du support CD. 8 ans après, le
disque est toujours vivant ! Il est même plus vivant que jamais à en
croire le nombre de productions qui sortent dans le monde entier. Il
existe une offre beaucoup plus importante qu'avant sur le support disque. Dans nos niches, que ce soit le blues
ou la world music,
les disques se vendent beaucoup en fin de concerts ou sont utiles pour la
promotion. Les artistes se servent donc de plus en plus du disque. Je
vois mal comment ce support pourrait être amené à disparaître ! Je
veux bien entendre que dans 5 ou 10 ans le téléchargement ou la
musique en ligne représentera 30% du marché mais ça bénéficiera
peut-être à 80% au TOP 50 et le reste sur des niches.
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Est-ce que le format album n'est pas
remis en cause ou profit du téléchargement au titre ? |
Philippe Langlois : Ça dépend des styles
musicaux. On ne va pas télécharger un titre de Beethoven. On va
prendre l'oeuvre entière. Les amateurs de Brassens pourront acheter
l'album ou se faire une compilation des 12 titres qu'ils préfèrent. En
ce qui concerne la musique très commerciale, il est vrai qu'on va
télécharger, par exemple, le dernier hit de Madonna. On n'a pas
besoin de 11 titres bouche-trou. En revanche, si on veut écouter du
John Lee Hooker on va plutôt acheter l'album. Ça dépendra de la
musique mais l'album est un concept qui correspond à nos habitudes, à
notre culture et à l'intérêt de notre oreille. Le format album est
remis en cause, certes, car de nouvelles possibilités vont s'ouvrir
mais il n'est pas remis en cause complètement, notamment pour un
artiste de blues.
Bernard
Villeneuve : Il est vrai qu'on peut se poser la question de la
pérennité du format album. Cependant, mes artistes travaillent sur des
albums et je ne vois pas comment on va mettre leur musique à
disposition des gens au titre par titre sauf si c'est pour les faire découvrir. C'est une
hérésie de se ruer sur le titre par titre car on va revenir à ce qui
se passait avant avec le 45 tours. On fait 2 titres, on voit si ça
marche auprès du public et si ça ne marche pas on fait 10° vers la
droite ou 10° vers la gauche ! Imagine ça sur un album de Benoît Blue
Boy par exemple ... Si on fait 5 morceaux dont un qui va être
téléchargé 500 fois et les autres 20 fois, je vais devoir lui dire que
je veux du premier et pas des autres ? Je ne me vois pas dire ça à des
artistes ! Ça serait aberrant par rapport à la démarche artistique.
Quand on défend la musique, on défend les albums. Pour moi, le grand
danger du téléchargement au titre par titre, ce n'est pas la mutation
économique. C'est la mutation dans les moeurs sur la banalisation de
la musique.
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Est-ce que les produits hybrides, qui
mêlent image et son, n'ouvrent pas de nouveaux horizons pour
relancer
les ventes de disques ? |
Philippe Langlois : Non je ne crois pas.
Je ne suis pas un fan des CD + ou du CD extra. Soit on achète un CD
audio soit un DVD, il y aura toujours un marché pour les deux. Il faut
bien séparer ce qui est aujourd'hui un effet de mode de ce qui relève
du long terme. Dans le long terme, le DVD va rester mais il ne va pas
remplacer le CD. De plus les ventes de CD par Internet vont continuer
à augmenter tout comme le téléchargement légal qui est une offre très
intéressante. On ne peut pas régresser ! C'est passionnant de pouvoir
télécharger tous les titres que l'on veut et les écouter dans son
i-pod. En revanche, ce qui est un effet de mode c'est penser que le
DVD va remplacer le CD ou que les sonneries de téléphone vont exciter
les gens pendant 10 ans ! C'est un effet de mode comme les scoubidous
ou les pin's ...
Bernard
Villeneuve : Il est difficile de généraliser sur l'ensemble de la
musique. Il y a des artistes pour qui ça va être intéressant d'avoir
des images, pour d'autres c'est la musique seulement qui est
importante. Tu t'en fous d'avoir des images d'un concert ou autre. Le
disque se suffit parce que le travail d'un artiste dans un studio,
c'est une chose en elle-même. Les images d'un concert, c'est
complémentaire mais différent. Si j'achète un DVD de Candye Kane ou
Bernard Allison en concert car ça m'intéresse de voir l'énergie ou le
petit glamour qu'il peut y avoir sur scène, j'ai aussi envie d'écouter
mon disque au bureau ou dans la voiture. Faire des formules hybrides,
proposer toujours plus c'est bien mais où va-t-on s'arrêter ?
Battons-nous pour avoir de bons produits, pour amener de la bonne
musique aux gens et la réponse viendra d'elle-même !
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Constatez-vous une évolution dans les
goûts du public blues ? |
Philippe Langlois : Non, je trouve que
dans l'ensemble, le public blues a une vision très traditionaliste.
Quand je sors un produit standard, classique ça marche à peu près.
Tous les essais que je fais avec des mélanges de blues, de world et de
techno marchent moyennement en général. Peut-être qu'un jour, je
pourrais avoir une bonne surprise sur quelque chose qui va passionner
une partie du public blues et une partie d'un autre public sur un
produit qui ressemble au blues. Je pense qu'on s'achemine vraiment
vers un mélange des genres dans l'avenir. Quand j'écoute un groove de
rap ou un beat très moderne, j'ai envie d'entendre une guitare dessus !
On peut mélanger plein de trucs. La France a cette chance, à travers
son histoire et sa place dans le monde, de pouvoir mélanger des
influences de gens qui sont d'origine arabe ou africaine, qui vivent
en France, qui aiment la musique américaine et qui mélangent tout ça
pour faire une musique plus créative, plus surprenante. Je suis très
attiré aussi par les mélanges d'électro, de hip hop, de blues à partir du
moment où c'est fait, non pas par opportunisme, mais par des gens
dont c'est la culture. A mon avis, un label doit avoir une
"vision" artistique. Il faut au moins savoir où on va et ce qu'on veut
faire. Dans le monde, je trouve intéressant qu'un label français
mélange tous ces ingrédients, toutes ces épices ... Le blues est une
musique en évolution constante. Un artiste n'est réellement créatif
que s'il apporte quelque chose de son époque et de sa personnalité,
autrement quel intérêt ? Bernard
Villeuneuve : En fait, je constate un retour assez général à des
choses plus tranquilles, acoustiques, à des musiques d'écoute plus
qu'à des musiques de danse. C'est une bonne chose car c'est une
réaction à toute la daube et le volume électrique qu'on entend
partout. Je connais beaucoup de gens qui ne sont pas branchés blues et
qui vont aimer écouter quelques bluesmen acoustiques car il y a une
écoute intéressante, relax. Après, les courants du blues ont toujours
existé. Difficile de dire ce qui se vend vraiment. Je peux juste dire
que tout se vend plus difficilement en règle générale ...
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