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INTERVIEWS > Alain
Giroux |
Interview
réalisée le 03/02/01
par Cédric Vernet Alain Giroux
est considéré comme l'un des meilleurs représentants du blues acoustique en
France, un pionnier dans ce domaine. Il a à son actif neuf albums, des
vidéos pédagogiques, des méthodes de guitare et anime par ailleurs des
stages et des ateliers. Après avoir tourné avec Bill Deraime, puis
Jean-Jacques Milteau, il partage la scène, depuis plus de dix ans
maintenant, avec Jean-Louis Mahjun.
Alain Giroux était l'invité de notre émission BLUES'N'Co le samedi 3 février
2001. Un moment exceptionnel agrémenté d'un mini-concert à la guitare
acoustique. |
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Bluesactu.com : "Jail Of Love", dernier album du duo Giroux / Mahjun fait partie
de ces albums inclassables, surfant entre différents styles. Peux-tu nous
résumer l'esprit de cet album ? |
Alain Giroux : Sur le premier disque,
nous étions uniquement tous les deux, violon et guitare, comme en concert. Sur le
deuxième, nous avions invité quelques musiciens notamment Denis Benarrosh aux
percussions et Didier Roussin aujourd'hui disparu. Sur ce 3ème album nous avons eu envie
d'aller encore un peu plus loin. Comme en concert, notre base c'est le blues. Mais dans
tous les pays du monde, il existe des musiques qui correspondent à l'esprit du blues
comme la musique tzigane, le flamenco, le fado, la musique irlandaise. A chaque fois que
les gens ont des peines ou des joies à exprimer, il y a toujours une musique qui
correspond.
Sur l'album "Jail Of Love", il y a uniquement Jean-Louis et moi mais pour se
faire plaisir nous avons rajouté des machines, des arrangements sur des morceaux que nous
avons l'habitude de jouer que tous les deux. Par exemple, sur l'album il y a un tango car
j'adore jouer des tangos à la guitare. On s'est amusé à mettre des percussions et des
sonorités un peu plus disco. C'est un gag qui nous a bien fait rigoler.
Le prochain album, prévu pour cette année sera un Live. On aura alors fini notre boucle
de recherche de sonorités et on reviendra au duo. |
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Bluesactu.com : Quand on connaît un peu votre prestation scénique, c'est un
album qui est assez déroutant. Est-ce que surprendre est un objectif afin de
prouver que le blues n'est pas une musique figée et qu'il est capable
d'évoluer ? |
Alain Giroux
: Tout à fait. Je n'ai jamais été un intégriste du blues. Certains
pensent que le blues c'est uniquement une forme d'expression et que ça ne
peut être joué que par certains types de musiciens ce qui, à mon sens, est
complètement dépassé. De grands guitaristes noirs américains de blues sont
entièrement d'accord avec ça. Dans notre musique, il n'y a pas que le blues
mais on essaye de faire passer une émotion qui est proche de celle que l'on
peut exprimer en jouant le blues. |
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Bluesactu.com : Tu as découvert le blues dans les années 50 à une époque où il
n'était pas forcément très évident de trouver une bonne discothèque blues en
France. Comment s'est fait ton apprentissage à cette musique ? |
Alain Giroux : J'ai commencé
à toucher une guitare quand j'avais 15 ans. Comme tout le monde, je travaillais sur les
accords de guitaristes comme Brassens. Un jour, le père d'un de mes amis m'a fait
écouter un disque où un bluesman jouait de la guitare seul. Je connaissais déjà un
petit peu le blues car mes parents m'avaient offert un coffret de disques où l'on pouvait
entendre un titre de Lonnie Johnson. Ca m'avait bien accroché l'oreille mais je trouvais
ça très difficile à faire car il y avait tout un orchestre derrière. Alors que là, le
bluesman en question n'était autre que Big Bill Broonzy. Effectivement c'était un blues
et il jouait seul. Ca m'a complètement flashé à l'écoute et j'ai su alors que c'était
cette musique que je voulais jouer. Le père de mon ami était un grand connaisseur de
blues et possédait déjà une bonne centaine de disques de blues. J'ai écouté cette
musique afin de déterminer la façon dont ces musiciens jouaient.
A partir de ce moment là, je suis monté à Paris, j'ai rencontré des gens, comme
Ralph Mc Tell avec qui j'ai fait la manche pendant plusieurs mois. J'ai continué à
écouter la musique en essayant de refaire ce que ces musiciens faisaient mais pas
forcément note à note, sauf pour quelques uns comme Lonnie Johnson. Mais habituellement,
pour chacun des guitaristes qui m'intéressaient, je n'essayais pas de reprendre le
phrasé exact mais de capter l'esprit, le style du musicien. |
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Bluesactu.com : Quels sont les guitaristes de blues qui t'ont le plus influencé
? |
Alain Giroux : Je pense à
des guitaristes comme Lonnie Johnson, Blind Willie Mc Tell, Tampa Red et ceux qui m'ont le
plus marqué au début à savoir Big Bill Broonzy et Blind Blake mais je pourrais en citer
un tas d'autres. En fait, tous les guitaristes, même les moins connus, ont un truc
particulier très intéressant à écouter. |
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Bluesactu.com : Comment se fait l'écriture des compositions, comme Jail Of Love
par exemple ? |
Alain Giroux : Pour Jail Of
Love, je suis parti d'un riff de guitare de 4 à 5 notes en pensant à J.B. Lenoir puis
j'ai développé ensuite cette phrase musicale. Avec Jean-Louis nous travaillons presque
toujours de la même façon. J'arrive avec les arrangements de guitare. J'enregistre alors
la guitare avec Jean-Louis qui assure un violon témoin. Une fois que cette base est
faite, la chanson est habillée avec paroles, violon, arrangements percussions, et chorus.
Sur ce disque, il y a aussi des reprises de morceaux qui nous plaisent. |
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Bluesactu.com : L'année 1990 est une année importante pour toi car tu fais une
"Rencontre du 2ème type" avec Jean-Louis Mahjun. Comment s'est faite votre
rencontre ? |
Alain Giroux : Je le
connaissais déjà depuis longtemps de réputation. Nous avions, en plus, un ami commun
qui a joué autant avec lui qu'avec moi et qui s'appelle Cyril Lefèvre, un merveilleux
joueur de guitare hawaïenne. Un jour, je jouais à l'Utopia, un club parisien qui attire
de nombreux bluesmen. J'ai rencontré Jean-Louis l'après-midi avec son violon et lui ai
proposé de faire le boeuf le soir même. Il a accepté et cela a fonctionné superbement
dès notre première rencontre. C'est pourquoi nous avons décidé de continuer à jouer
ensemble. On s'est alors donné rendez-vous pour faire un concert à Utopia mais nous
n'avons pas eu le temps de répéter. Une demi-heure avant je me rappelle lui avoir dit :
"On joue, tu me suis". Et c'est comme ça que depuis 12 ans qu'on se connaît,
on n'a jamais eu a répéter ensemble. Ce qu'il y a de bien avec un duo, c'est que ça
laisse une grande place à l'improvisation et aux surprises. Comme on se connaît bien, on
peut se permettre de partir dans des délires sur scène. C'est surtout le cas pour
Jean-Louis en fait car on fonctionne un peu comme un duo de clowns ! Je suis le clown
blanc et lui l'Auguste. C'est lui qui doit délirer avec ses instruments alors que
derrière j'assure les chants, les contre-chants, les chorus, ..., et j'ai beaucoup de
boulot avec lui ! |
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Bluesactu.com : On sent une vraie complicité entre vous deux qui est
exceptionnelle. As-tu ressenti cela également lors de tes premiers concerts
avec Jean-Louis ? |
Alain Giroux : Oui tout à
fait. Ce qu'il y a de bien, c'est que nous avons des styles complètement différents. Je
suis issu du blues et du folk alors que la culture musicale de Jean-Louis était plutôt
le rock. Ce sont deux horizons et deux mentalités différentes mais cette différence
crée une complémentarité sur scène.
De plus, on s'est toujours marré à jouer et les gens le sentent. |
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Bluesactu.com : Avant ta rencontre avec Jean-Louis, tu as partagé la scène avec
Bill Deraîme ou encore Jean-Jacques Milteau. Peux-tu nous rappeler ton
parcours musical ? |
Alain Giroux : Vers la fin
des années 60, j'habitais à Paris pour mes études. En parallèle, je continuais à
jouer de la guitare. A cette époque, de nombreux Folk Clubs se sont ouvert à Paris. Bill Deraime a été à l'origine de l'ouverture d'un Folk Club qui s'appelait TMS (Traditional
Mountain Sound) où nous nous retrouvions avec de nombreux autres musiciens comme Bill
Deraîme bien sûr mais aussi Jean-Jacques Milteau, Gabriel Yacoub, Chris Lancry et
d'autres. On a fondé alors un des premiers Jug-Band avec Milteau, Laurent Gérôme, Bill
Deraîme et sa femme Florentine. On se produisait plutôt dans des clubs de jazz
traditionnel où ça marchait d'enfer car les gens n'étaient plus habitués à entendre
ce son. Un disque est sorti en 1971. Nous avons tourné pendant un an ou deux avant que le
groupe ne se sépare car chacun souhaitait faire individuellement autre chose. Pendant
quelques années, j'ai alors fait des concerts tout seul. On s'est ensuite retrouvé avec
Jean-Jacques pour un duo Guitare / Harmonica qui a tourné pendant dix bonnes années en
France, en Espagne, en Hollande. Comme Jean-Jacques avait un plan de carrière qui ne
correspondait pas vraiment au mien, on s'est séparé. Mais ce fût un divorce par
consentement mutuel puisque on est resté très amis.
J'ai ensuite joué avec Cyril Lefèvre (Guitare Hawaïenne) avant de rencontrer Jean-Louis
en 1990 avec qui je fais 90% de mes concerts. |
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Bluesactu.com : Peut-on aujourd'hui vivre de sa musique ?
(Question posée par
téléphone par Patrick de Portes-Lès-Valence) |
Alain Giroux : Oui mais ce
n'est pas facile. Soit on arrive à percer après pas mal de galères qui peuvent
s'étaler sur au moins dix ans, soit on est un génie monstrueux et on perce tout de
suite. C'est toujours un cercle vicieux pour un jeune musicien. Pour être connu, il faut
jouer mais pour jouer, il faut être connu ! Il y a bien des endroits, notamment en
province, dans des bars, où on peux commencer à jouer et se faire connaître mais ça
prend du temps.
Après, on peux toujours tomber sur des petits phénomènes comme Nawfel, bien soutenu par
sa famille, qui, à 14 ans, a une technique instrumentale assez monstrueuse. Mais il faut
voir ce qu'il va devenir quand il aura passé 20 ans et qu'il n'aura plus l'âge d'enfant
prodige.
D'une manière générale, vivre avec le blues ce n'est pas facile. Des gens comme
Jean-Jacques Milteau ont réussi car il est extrêmement doué et il a eu l'occasion de se
faire connaître en jouant auprès d'artistes comme Eddy Mitchell. C'est vraiment la porte
ouverte car ça permet de fréquenter des studios, des musiciens, etc. Mais pour qu'un
musicien puisse bien vivre de sa musique, il faut qu'il fasse un petit peu de tout : du
studio, de la scène, monter un groupe et essayer de se faire connaître auprès des
maisons de disques. Il faut vraiment être bon, ce n'est pas facile et c'est assez long.
En ce qui me concerne, j'ai eu la chance d'avoir un boulot intéressant et de faire de la
musique à côté. Ca m'a permis, en musique, de ne faire que ce que j'avais vraiment
envie de faire, sans forcément chercher à tout prix les séances de studio, ou
d'accompagner des musiciens. C'est vraiment ce que je conseillerais à quelqu'un qui veux
être musicien, c'est d'avoir une activité à côté pour l'alimentaire. |
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Bluesactu.com : Est-ce que ce n'est pas d'autant plus difficile de vivre de sa
musique quand on est guitariste vu le nombre de prétendants ? |
Alain Giroux : Oui, je
suis complètement d'accord avec toi. Il y a beaucoup plus de guitaristes que
d'harmonicistes par exemple. Pour un guitariste, il faut vraiment beaucoup
d'années de métier et avoir un style personnel très reconnaissable pour
faire la différence et ce n'est pas évident. |
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Bluesactu.com :
Est-ce que tu constates un regain d'intérêt pour le blues acoustique ou la mode
Unplugged te semble-t-elle passée ?
(Question posée par Internet par Olivier de
www.gazettegreenwood.net) |
Alain Giroux : Si le
mouvement Folk a subi un creux dans les années 90, ce n'est pas le cas pour le blues. Le
blues a toujours fonctionné car c'est une musique conviviale qui peut se jouer dans les
bars par exemple. Sur scène, les gens ont envie de retrouver des musiciens qui jouent
vraiment. J'espère que c'est une mode qui va durer même si, dans notre cas, nous ne
jouons pas unplugged sur scène. Jean-Louis travaille avec des violons et mandolines
électriques et moi une guitare Jazz. C'est en fait assez rare de trouver des musiciens
qui continuent à jouer en acoustique intégral. Des gens comme Hans Olson ou John Hammond
continuent car il y a eu un regain de l'acoustique à travers des artistes américains qui
jouaient sur National. Il y a un public pour ça. Ca marche très bien en club et
en concert donc ça ne peut que perdurer. |
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Bluesactu.com : Pour John Hammond, "Jouer en solo, c'est l'Art du blues". Es-tu
d'accord avec ce point de vue ? |
Alain Giroux : Je suis
assez d'accord avec ça. Quand tu joues seul avec ton instrument, il faut
vraiment avoir les tripes et la technique pour faire passer quelque chose.
Je n'ai jamais été un fan de technique mais il en faut pour faire passer des
expressions, un sentiment ou une émotion. J'avoue que j'adore jouer tout
seul. C'est un vrai défi de tenir le public en haleine rien qu'avec ta voix
et ta guitare. A l'origine, les premiers guitaristes de blues jouaient seul. |
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Bluesactu.com :
Que penses-tu du retour des musiques traditionnelles ?
(Question posée par téléphone par
Marie de Bourg-Lès-Valence) |
Alain Giroux : C'est une
excellente chose. A l'époque, j'ai bien vécu tout le mouvement folk avec le
retour des musiques traditionnelles régionales. Ca permet aux gens de
retrouver une identité et ça c'est très important. Je suis favorable au
retour des musiques traditionnelles et de tous les pays du monde car il y a
des choses fantastiques à découvrir. |
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Bluesactu.com : "Jail Of Love" est un album qui reflète une étonnante modernité
dans les sonorités. Es-tu attentif aux mouvances musicales actuelles ? |
Alain Giroux : J'entend la
variété à la radio. J'avoue qu'il n'y a rien qui m'intéresse vraiment. J'aime bien Arno
car il a un petit côté Tom Waits, qui est un artiste que j'adore. J'apprécie
également certains groupes qui arrivent à mélanger plusieurs styles comme Debout
Sur Le Zinc, dans lequel on retrouve des influences irlandaises, country, festif
breton. A part ça, j'écoute pas mal de Jazz, de la musique classique, du rock. En fait,
j'écoute de tout car c'est comme ça qu'on trouve des idées. Il ne faut pas rester
uniquement dans un style autrement on tourne en rond. |
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Bluesactu.com : Avec le duo Giroux / Mahjun, votre démarche musicale est assez
expérimentale. As-tu le sentiment d'être allé au bout avec "Jail Of Love" ? |
Alain Giroux : On est
allé au bout d'une démarche qui consistait à habiller notre duo. C'est un
disque qui n'est pas le reflet exact ce qu'on peux faire sur scène. En
concert nous resterons en duo guitare / violon car c'est original. A la
limite, ça me plairait de jouer avec un percussionniste mais pas un batteur.
On se laisse guider par nos envies et les occasions qui se présentent. |
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Bluesactu.com : Nous allons terminer cette émission en parlant de tes projets.
Quels sont-ils ? |
Alain Giroux : Nous avons
toute une série de concerts prévus (dont une tournée en Espagne) que nous allons
enregistrer. A la rentrée on gardera le meilleur pour sortir un album Live chez Last
Call Records. Nous revenons à une formule en duo pur. |
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