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LA BLUESOTHEQUE
Chroniques écrites par Francis Rateau
Retrouvez ces chroniques dans le magazine Crossroads
 

Mars - avril 2006
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SPOONFUL OF BLUES
Chasin That Devil’s Music
Bluestown Records

ELMORE D
Tot k’Mahî
Naked Prod / Mosaic Music

JANIVA MAGNESS
Do I Move You ?
Northern Blues Records

JESUS VOLT
In Stereo
Dixiefrog / Night & Day

HANK III
Straight To Hell
Bruc Records

 

SPOONFUL OF BLUES
Chasin That Devil’s Music
Bluestown Records


             
Site officiel

Une vague nordique de blues
Surgissant soudainement, comme leurs ancêtres, de leurs fjords profonds, ces sauvageons norvégiens suivent le chemin d’un blues sans concession et emprunté par toute une série de formations scandinaves, décidément très entreprenantes. Ils déboulent en force dans le paysage du blues européen après avoir conquis, lors de leur premier opus, la légendaire ville de Clarksdale (Mississippi), carrément, pour un festival illuminé et une poignée de concerts avec quelques icônes (Robert Belfour, Big Jack Johnson…). Auréolés de leurs victoires peu évidentes, les Hommes du Nord enfantent d’un second opus encore plus vrai que nature, volontaire et musclé, pour courir après la musique du diable. Spoonful Of Blues sait combiner les éléments d’un blues traditionnel avec un jeu résolument moderne, presque rock, sans honte ni morale, avec réussite incorporant même un peu de leur culture scandinave. C’est bâti avec une certaine élégance mais livré avec une forte énergie, peut-être due à la nuit polaire ou à la passion la plus furieuse, en tout cas avec une vitalité qui est à l’évidence la marque de la scène nordique. Entre boogie vitalisé par l’harmonica sulfureux du chanteur Jostein Forsberg, swamp, roots et garage blues menés dangereusement par la guitare saturée ou acoustique de l’excellent Morten Omlid, le gang de Nottoden (dans le sud du pays, intéressant festival de blues) s’offre aussi de belles giclées de rock intransigeant ou d’écume world, sans démesure mais avec la volonté de démontrer que si le blues est né dans le deep south des States, c’est dans les contrées scandinaves qu’il survivra certainement. Et dopé au rock ! Ces gens se sont affranchis des contraintes mais pas de références. Ils sont libres de leur musique, sans codes ni chapelles, et franchissent allègrement les frontières, portés uniquement par leur passion et leur jeu, leur humilité et leur authenticité. La vague du blues nordique continue de déferler sur la vieille Europe. Spoonful Of Blues n’en est qu’une composante, mais une des plus vives. Un superbe album de douze compositions à écouter en buvant de l’aquavit et une bien excitante formation dont le talent et la passion éclaboussent jusqu’ici !
[Francis Rateau]

ELMORE D
Tot k’Mahî
Naked Prod / Mosaic Music


 

Fête du blues wallon
El Professor porte sa passion des musiques traditionnelles au paroxysme de son érudition culturelle en embrouillant l’idiome du blues avec la poésie toute belge du langage wallon (Tot k'mahî signifie en wallon "Tout embrouillé"). Sorte de Ferré Grignard fidèle à la tradition du blues, celle du versant folk et skiffle, Elmore D. (alias Daniel Doixhe) réinvente la chanson populaire à coups de riffs mélodiques, de blue note et d’open tunes sur sa brinquebalante guitare et avec l’aide de ses potes musiciens. Avec ce personnage à la faconde légendaire, le blues, teinté d’émotion et d’humour, charrie des textes expressifs ancrés dans l’âme du pays, et qui se déhanchent sur une musique jouissive. Dans l’attitude d’un coureur assis d’aventures musicales, Elmore D réalise là un travail qui le tenait à cœur, un répertoire renouant les tonalités du blues avec ses racines wallonnes, la passion du folklore en plus, l’esprit de recherche d’un universitaire aguerri en prime. Entre dialecte belge et country blues, skiffle local et sonorités roots, gospel et chansons rurales, un palette de pièces embrouillées (jusqu’au rap scratché du remix du "Gros Louwis"), le mariage improbable donne un tableau des plus fidèles à la tradition des musiques noires, et celles pas si éloignées, tout compte fait des peuples qui souffrent et vivent, qu’ils soient noirs ou blanc. L’authenticité sonne sur chacun des mille morceaux habillés pour la fête et les gens qui savent rêver, chanter, boire, chanter… Magique fresque bardée de couleurs mélancoliques ou festives, d’émotions assourdissantes et d’incroyable réussite, ce quatrième album d’Elmore D. est double, un disque en studio, un autre en live, et réunit une incroyable palette de musiciens parmi les meilleurs du sol wallon et flamand : Big Dave (Electric Kings), Stinky Lou & The Goon Mat au complet, Renaud Lesire (Lalangue), Willie Maze (Tee), Renaud Patigny, Pierre Lacoque (Mississippi Heat), et d’autres encore… Dr Elmore et Mister D., deux facettes d’un personnage unique dont le blues européen ne peut pas se passer. Car Mister D, dans la vie, est un sacré gaillard, délivrant sa bonhomie légendaire avec générosité, sa musique à tous vents, son talent à l’envi et ses richesses culturels à qui veut les prendre ! Car Doctor Elmore est le trait d’union entre le blues de l’émotion et du labeur dans les champs de houblon, et celui de la fête et des lieux de vie, tendance juke joint ! What Shall We Do With a Drunken D. ?
[F.R.]

JANIVA MAGNESS
Do I Move You ?
Northern Blues Records

Site du label
 

Delicated woman
Toute auréolée de sa troisième nomination aux Blues Music Awards, la belle californienne transcende son nouveau style, désormais plus proche des racines, dans un second opus signé sur le label canadien Northernblues. Janiva Magness creuse depuis lors un joli sillon en s’affranchissant au fil de ses œuvres, du seul rôle de female singer que le monde du blues s’arrachait il y a encore peu (Kid Ramos, Kirk Fletcher, RL Burnside, John Juke Logan, Neal Casal, …) pour une carrière plus personnelle et des disques de plus en plus typés. La rencontre et l’aide du producteur Colin Linden a été décisive et a largement aidé au façonnage en proposant un cadre sonore fidèle à la tradition du blues et une belle bande de musiciens rompus au genre. Ceux-là sont carrément monstrueux d’efficacité, très présents et sachant toujours trouver la note qu’il faut, le riff parfait et les shuffles meurtriers. Ils s’appellent par exemple Rick Holmstrom, Jeff Turmes, Gary Davenport, ou Colin Linden (au four et au moulin) et portent ce disque au pinacle de la réussite. Dès les premières notes de ce "Do I Move you ?" (tout est dit), Janiva égraine alors une collection de voluptueuses mélodies caressées par ce qui fait l’essentiel du blues au féminin : l’émotion, la sensualité et la conviction. Mais le son, l’immense son de l’album, ajoute une magnificence certaine ! C’est bien entendu l’œuvre de Linden, véritable chef d’orchestre, magicien de la production, architecte d’une cathédrale sonore bâtie pour la voix de Janiva, portant la Diva en lévitation, aux nues du chant noir du R&B d’antan. Que ce soit enrobé par un fond sobrement acoustique, d’où perce alors de superbes volutes de guitares, ou dompté par une section rythmique hallucinante, le chant de Janiva Magness emplit l’âme d’une incroyable intensité. Sa voix suave, dont le grain sait se faire tantôt rauque, tantôt léger, envoûte et bouleverse, caresse et vibre, authentiquement. La ballade est jouissive et la musique généreuse. Madame chante le Blues avec inspiration, simplicité, sobriété, beaucoup de passion, et de charme. Janiva Magness est à l’évidence l’une des révélations de ces dernières années. Et en plus elle est belle…. 
[F.R.]

JESUS VOLT
In Stereo
Dixiefrog / Night & Day

Site officiel

Rock’n roll damnation, blues redemption
Jesus Volt a ceci d’éternellement fringant qu’il sait se régénérer et muter, abattant à chaque livraison les derniers pans d’un blues moisi, percutant le rock mou des mélodies assoupies, asservissant les dernières technologies à son service, laissant les vieux mythes pourrir au placard, pour annoncer un avenir radieux au rock blues du futur, résolument sauvage, coloré et vivifiant. Jesus est Grand ! Les talents du producteur australien Tony Cohen ont même aidé à l’aventure des saigneurs défroqués que sont Lord Tracy (chant du diable), Mr Tao (guitares infernales), Lenine Mc Donald (basse démoniaque) et Magic Doudous (tambours vaudous) pour un album, In Stereo s’il vous plait, qui, en à peine 10 titres, pulsent soudain le rock blues vers des années lumières de ce début de siècle. Cet opus est une vision prophétique, pleine de réalisme et d’invention, sachant conjuguer l’harmonie des sons avec la sensibilité des sens, lien indispensable entre la musique d’hier et celle de demain, l’imagination au pouvoir, la liberté partout, en offrande divine…Respect de la tradition dans un bel assemblage des tendances de toujours (du funk swinguant au bon gros blues de l’émotion, de la soul glabre au viril rock’n roll) et ouverture sonore sur des bidouillages détonants dévoyés par une créativité débordante, des idées à foison et une réelle envie de pousser ce sacré rock dans les limbes du moment. Ceux-là sont à l’évidence déjà dans l’avenir ! Après avoir fait appel à des DJs, pour un remix du précédent album, le combo a croisé sur sa route, cette fois-ci, de beaux personnages à la géniale intervention : DJ Cook aux scratches foudroyants, l’immense Boney Fields, maître de la trompette funky, Nicolas Lienard, charmeur de touches noires et blanches, Frédéric Girard, jongleur de percussions, Dom le Tatoué pour l’Artwork fou, et la précieuse Patricia aux photos toujours précieuses. La Compagnie de Jesus forme dorénavant une bande survoltée à la généreuse alchimie complexe qui fabrique un projet ambitieux et expressif de haute stature. Le gang visite au long de l’opus les thèmes récurrents d’un rock chahuté par les rencontres exacerbées des sensations obscures, des battements de cœur et des aventures du désir trouble. Plus le délire, le son et rage ! Jesus Volt se nourrit d’excès jouissifs dont la passion n’est pas exclue, ni la folie seule. C’est la force du combo. Jesus ‘s gonna be here somewhere along the road ! Alléluia !  [F.R.]

HANK III
Straight To Hell
Bruc Records

Site officiel

Fuck Nashville
Le troisième rejeton de la légendaire famille Williams s’est adjoint cette fois-ci les services du grand Cornu lui-même en pactisant avec lui un album tranchant nommé ‘Straight To Hell’’ signé sur une alternative moins visible du label Curb (Bruc) et avec, précaution oblige, le sticker "Parental Advisory". Produit par le Dépravé et enregistré près des flammes de la cheminée d’une petite maison perdue, ce diabolique opus jette à la face de la musique consensuelle une poignée de chansons infernales, dédiées notamment à l’alcool, résolument ancrées dans la tradition des coureurs de bars, et plombées de sonorités honky tonk. Hank Williams, rebelle patenté et buveur invétéré, flingue la country politiquement correcte avec une hellbilly music infectée d’attitude punk. On retrouve l’esprit d’aventure d’un Waylon Jennings, ou d’un Cash, la beauté d’un David Allen Coe, la liberté des Outlaws. La plupart des pièces de "Straight To Hell" ont en partie été écrites fin 2004, début 2005, et devaient déjà figurer sur un disque (Thrown Out of the Bar) non sorti pour cause de relations houleuses avec le label. Encore ! Williams a volontairement enregistré dans une atmosphère intime et dans une grande sobriété technologique, jusqu’à se servir parfois d’un vieux magnéto offert jadis par sa grand-mère !! Juste pour montrer qu’il n’a pas besoin des budgets monstrueux et faire la nique aussi à ses détracteurs. La bouteille d’une main, le flingue dans l’autre, Hank The Devil écume ses angoisses, ses addictions et ses névroses dans des textes venimeux qui parlent décidément beaucoup de vin, de fumée et de drogue (‘Smoke & Wine’, ‘My Drinkin Problem’, Thrown Out The Bar’,’Pills I Took’), de rébellion (‘Crazy Country Rebel’, ‘Country Heroes’…), ou même de Satan (‘Satan is Real’) mais tout ça, n’est-ce pas, c’est la même chose ! La Music City est particulièrement et éternellement vilipendée (‘Dick in Dixie’, ‘Not Everybody Likes’…) et le hurlement du Hank tatoué, « Fuck Nashville », est devenu un étendard de la scène insurgée. Voix scratchée au bourbon, style délétère et musique pas même crasseuse, cet album offre une immense liberté de ton au Rebelle : une première rondelle embaume de bien belles envolées en forme de ballades soyeuses ou chaloupées, manière peut-être d’attirer le naïf sur une seconde galette nettement plus délirante qui déverse son lot de fiel, et d’où sourde, sur la guitare du Hank, les injonctions du Malin en provenance directe de l’Enfer, voix caverneuse, train fou à la Wayne Hancock, volutes d’outre-tombe, et autres cris glaçants, un beau pastiche du papa (‘I Could Never Be Ashamed of You’). Cet objet maléfique présenté en double digipack, “One done right, the other done wrong”, c’est à la fois la soumission à l’héritage et son rejet ! Shelton Hank Williams III a su recruter, pour ses sales œuvres, une poignée de comparses au milieu de nulle part, des mutants de la chose alternative, une bande d’insoumis, pour un éventail de mélopées assourdissantes de mélodies enfiévrées. Le 3ème Williams est désormais, à l’image de ses père et grand-père, un Homme Libre, gérant à l’envi sa musique et sa production ! Tant pis pour les culs bénis de la country music (‘Not Everybody Likes Us’). Et après tout, comme l’explique lui-même le Hell’s Hank…If you don't like me, you can kiss our ass !!  
[F.R.]