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DOSSIER
PATRICK VERBEKE |

Interview
Si t’as mal,
le blues te fait du bien
Texte : Cédric Vernet et Francis Rateau
Réalisé dans l'émission "Le Blues Café" sur Couleurs FM le 23 mai 2005
Drôle d'animal ce Bec Vert ! Héraut parmi les
pionniers qui ont ouvert la brèche du blues français, Patrick Verbeke est
avant tout un homme de passion mettant ses nombreux talents au service de
cette musique des sens et de l’émotion, tour à tour musicien, chanteur,
compositeur, homme de scène, de radio, écrivain, conteur, conférencier, ou
tout à la fois….!
30 ans de carrière et l'âme troublée, l'esprit serein et lucide, le coeur un
peu meurtri par les affres de la vie, mais prêt à rebondir avec ce
magnifique double album signé chez Dixiefrog, consacrant en quelque sorte le
bilan d’une vie extrêmement fertile. Le moment de faire le point…
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Comment arrive-t-on à capturer un Verbeke vivant ? |
Justement
pas facilement ! Cela fait des années qu’on me proposait d’enregistrer
un Live et je refusais l’obstacle. Je suis peut-être un peu trop
perfectionniste mais il y a toujours des petites erreurs qui passent
bien en concert mais plus difficilement sur disque. Et puis
l’opportunité m’en a été donnée lors d’une série de 5 concerts au
Méridien à Paris avec une belle équipe de techniciens. Je me suis dit
que ce serait bien le diable si je ne trouvais pas une bonne version
pour chacun des titres que j’avais choisis !
Et
puis je voulais profiter de ce disque pour marquer un bilan puisque
cela fait 30 ans que je suis musicien disons ‘officiel’, avec
bulletins de paie et sécu ! Pour le titre de cet album, c’est un clin
d’œil, un titre emprunté, souvenez-vous, à un album des années 70 de
Johnny Winter, ‘Captured Lived’. Cela m’avait marqué !
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Ce double album est
en fait découpé en 3 parties : des standards de blues, des
compositions et des extraits de ton émission de radio « De quoi J’Vais
m’Plaindre ». Comme un échantillon de toi ? |
C’est vrai ! Les vieux
blues essentiels pour moi, mes compositions et cette émission que j’ai
tant aimé faire. C’est exactement ça !
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Pourquoi cette
volonté, cet engagement dans le blues tout au long de ta vie ? |
Oui c’est vrai, c’est
presque du militantisme. C’est la musique qui m’a nourri, qui m’a aidé
à vivre et même sorti des mauvais pas. Dans ces moments là, il y a
aussi l’amitié, l’amour mais il y a le blues, musique par excellence
faite pour guérir. C’est pourquoi il a été créé. Luther Allison se
qualifiait d’ailleurs lui-même de ‘Soul Fixer’ (le réparateur d’âme).
C’est, pour moi, la plus belle musique du monde mais c’est
aussi une façon de vivre, une philosophie, un état d’esprit.
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Et les rencontres ? |
La
première, ça a été Memphis Slim. J’étais très jeune et je l’ai vu en
concert. Cela m’a donné immédiatement envie de jouer d’un instrument.
Je ne savais pas lequel ; d’abord cela a été la batterie puis
finalement la guitare. Dix ans après, j’ai retrouvé Memphis Slim dans
un studio et il m’a demandé de l’accompagner, alors là c’était une
joie totale.
Il
y a eu évidemment Luther Allison, une rencontre fondamentale, mais il
y a plein de gens, par exemple Tommy Castro, John Hammond, un grand
frère en quelque sorte, toujours attentif à ce que je fais.
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Et le blues en
français, c’est venu comment ? |
Plusieurs
étapes. D’abord avec mon pote Benoit Blue Boy qui a été l’un des tout
premiers fin 70, avec Bill Deraime, à écrire le blues en français. Je
me suis dit qu’il n’y avait pas de raison que je ne m’y jette pas et
que je n’essaie pas. J’avais envie de transposer, de faire comprendre
ce que disent les paroles de blues en anglais. Le blues c’est aussi
des paroles, et souvent pleines de poésie. Les amateurs de blues
prennent souvent les paroles en anglais comme des sons, pas comme des
textes, et c’est dommage car ils en ratent la moitié. Tu ne peux pas
savoir la truculence des paroles des bluesmen, les sous-entendus ; ils
peuvent raconter une histoire triste en rigolant ou l’inverse, et j’ai
voulu avec mes modestes moyens montrer un peu tout ça dans une langue
que les gens pouvaient comprendre.
En
Louisiane j’ai découvert d’autres gens qui faisaient la même chose,
sans se poser de questions, parfaitement naturels. Du coup je me suis
dit que j’étais dans le bon chemin. Luther Allison m’a toujours
encouragé à chanter dans ma langue maternelle. On est là avant tout
pour raconter des histoires, des sentiments et tu n’arriveras jamais à
avoir autant d’acuité, de feeling que dans ta langue maternelle.
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Tu as même réussi à
faire chanter Luther Allison en français, et ce moment est gravé sur
ce nouvel album ! |
Oui je suis très fier d’avoir réussi cet exploit. Et en plus, il a joué
en acoustique pour la première fois depuis 25 ans ! On a même ensuite
fait une dizaine de dates ensemble en acoustique pour prolonger. Le
blues francophone me passionne de plus en plus, et encore plus depuis
mes rencontres avec le blues cajun et aussi acadien. Leur credo c’est
"laisse le bon temps rouler" c’est-à-dire que c’est une manière de
vivre aussi. Le blues ça concerne tous les moments de la vie, même
culinaires …
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Ah bon ? |
Ben oui, tiens prends
les plats de la Louisiane, jambalaya, gumbo, et bien le blues c’est
comme un plat fait avec plein de petites choses, diverses et épicées,
qu’on met ensemble et qui au bout forme une espèce de fumet
délicieux !
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Si le blues t’a supporté tout au long de ta vie,
toi-même tu l’as porté aussi. Il y a les disques mais il y a eu aussi
l’émission de radio, une exposition itinérante, un conte pour enfants,
un label… Tu as exploité toutes les formes modernes pour faire
connaître le blues…. |
Oui c’est vrai, je dirais que je les ai explorées plutôt
qu’exploitées. J’ai fait des expériences parfois heureuses, parfois
plus difficiles, mais j’en suis très content. J’ai tenté de les porter
sur mes frêles épaules, peut-être aussi en allant trop loin, en en
faisant trop mais je ne regrette pas.
L’expérience qui m’a un peu attristé, c’est celle du label Magic
Blues. On avait beaucoup d’espoir. Mais les rudes lois du marché… Avec
l’émission de radio, j’avais l’opportunité de faire découvrir de
jeunes artistes, et quand elle s’est arrêtée, il y a eu comme un
manque. Je continuais à recevoir les CDs des formations et je ne
savais quoi en faire, alors je me suis dit que ce serait bien de
monter un label pour les découvrir. D’abord ce fut une compilation
‘Hexagone Blues’ (Dixiefrog) avec plein de jeunes artistes mais elle
est passée complètement inaperçue. Bon ! Ensuite il y a eu Karim
Albert Kook, et d’autres albums et je me suis retrouvé dans un monde
que je ne connaissais pas vraiment, moi je n’avais que ma bonne
volonté alors qu’il fallait du fric et faire du business.
Aujourd’hui cela semble vraiment plus dur, pour tout le monde, et
c’est presque paradoxal au moment où il y a de plus en plus d’artistes
de blues en France. Je ne sais pas d’où cela vient exactement :
piraterie, effets comportementaux, musique jetable… mais c’est dur.
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On sent que cette
émission que tu as faite pendant quelques années sur Europe 1 a été un
grand moment pour toi et qu’elle t’a beaucoup marquée dans ta carrière
musicale |
Ah oui complètement et
d’ailleurs j’ai toujours le regret que ce soit arrêté. J’aimerais
refaire une émission où je pourrais recevoir des gens mais je n’arrive
pas à convaincre un grand média.
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Et par le biais
d’une web radio ? |
Oui, j’écoute ces
modules blues sur le web, notamment aux Etats-Unis et j’ai pensé faire
ça aussi, mais finalement ce n’est pas si simple ! Et puis, il
y a plein d’émissions blues en France qui se sont développées, c’est
superbe, donc c’est bien ainsi.
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Quand tu as
contribué à lancer le blues en France, imaginais-tu qu’il arrive là où
il y en est maintenant ? |
Quand on lance quelque chose, on ne sait pas toujours où ça va
arriver !!!
Quand je vois tous ces groupes nouveaux, je me dis que c’est tant
mieux, et même s’ils jouent pour un public restreint, c’est tout de
même mieux que rien, c’est toujours ça de pris. J’aurais espéré que
cela ouvre plus de portes et j’ai l’impression en ce moment que ce
sont plutôt des portes qui se ferment…Les lieux par exemple, qui se
transforment pour ouvrir sur des musiques dites actuelles. Ok le blues
n’est pas une musique dite actuelle car plus ancien, encore qu’il est
bien vivant, mais il a toujours eu ses ‘up & down’, ses vagues et a su
se régénérer
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Ne crois-tu pas que
certaines expériences comme le Nu Blues ou le World-blues, permettront
au blues de continuer à vivre ? |
Ah oui parfaitement,
moi j’y crois. J’ai parfois du mal à suivre certains, mais je suis
prêt à faire l’effort. N’oublions pas que ce fut déjà le cas par le
passé, par exemple avec Hendrix. Il est parti d’un blues un peu
primaire pour faire une musique complètement sidérale et
extraordinaire qui a plu à un jeune public et qui continue à vivre
aujourd’hui. Plus récemment j’ai vu des jeunes, les North Mississippi
All Stars, les fils de Jim Dickinson, qui font une musique à la fois
psychédélique qui se réfèrent pas mal à ce que faisaient Grateful Dead
ou justement les Cream à une autre époque tout en invitant certains
vieux bluesmen avec eux et en gardant intact une pureté de ce qu’ils
font. C’est intéressant. Il y a ces NuBlues anglais aussi, et j’ai
entendu un groupe louisianais qui mélange rap et zydeco. Ah il y a
quelque chose dans l’air en tout cas où l’on retrouve à la fois les
racines et en même temps la musique d’aujourd’hui. Je pense que c’est
jouable, de temps en temps. Ca me rappelle une anecdote de mon
émission : il y avait le jeune guitariste Kenny Wayne Shepherd avec un
de ses musiciens. Ils ont joué un de leurs morceaux et, afin de
pouvoir jouer avec eux, je leur ai demandé par exemple un vieux ‘Muddy
Waters’ et bien ils en étaient incapables ! Ils ne connaissaient aucun
titre. J’ai été très surpris et je me suis dit qu’il y avait du boulot
de mémoire à faire.
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Justement quels
conseils donnerais-tu à un jeune groupe ? |
J’aurais envie de leur
dire deux choses : d’abord il faut faire de la scène, le plus
possible, mais aussi musicalement de ne pas se couper des racines,
d’explorer tout ce qui est traditionnel et de s’y faire les dents,
mais en même temps de trouver sa personnalité et une originalité, qui
vous différencie des milliers d’autres, et ça ce n’est pas facile du
tout.
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Comment regardes-tu
le monde du blues qui s’active autour de toi ? Comme un grand
frère amusé ou as-tu encore envie de mouiller ta chemise ? |
Oh j’ai encore envie de
mouiller ma chemise mais c’est vrai avec plus de recul. Par exemple je
suis assez déçu du fait que lorsque je présentais des animations blues
dans les écoles, j’étais débordé par la demande, il y en avait trop !
Et maintenant, parce que les budgets ne sont plus là, il n’y en a
presque plus ! Pourtant je continue à proposer mes services. Mais
peut-être y en a-t-il d’autres qui le font ? Il faut peut être savoir
passer le relais. En tout cas, j’ai encore la tête qui fourmille de
plein d’idées et de projets !
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Cet album ‘Capturé Live’ ne serait-ce pas aussi la
preuve que tu es toujours là, bien vivant, et que cette musique qui
t’a fait vivre, tu l’aimes encore, que tu es prêt à rebondir.
Si tu as mal, le blues te fait du bien ! |
Oui, c’est tout à fait
ça, une façon de dire aux gens "voilà ce que j’ai fait jusqu’à
présent. Je suis prêt". Maintenant la balle est dans le camp des
décideurs. Moi je suis prêt, j’ai plus de guitares qu’avant, j’ai
encore plus de titres et toujours plein d’idées..
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Mais quand on fait
un bilan, souvent on en profite pour tourner une page…Vers quoi
aurais-tu envie d’aller maintenant ? Y a-t-il encore des choses que tu
n’as pas explorées et que tu aurais envie de faire ? |
Ces derniers temps j’ai
vécu une période très acadienne, avec immersion complète dans le blues
de cette région, voyages, disque, mais finalement c’est assez
restreint. Maintenant j’aimerais revenir vers le blues, plus
traditionnel, aussi plus moderne, bosser la guitare et le chant. Quand
j’entends Eric Bibb par exemple, je trouve qu’il fait des choses
extraordinaires avec une technique de la main droite que beaucoup de
guitaristes doivent lui envier !
Patrick VERBEKE sur
le web : http://www.magicblues.com
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