Errances blues et hypnose rock
[10/09/07]
Le trio le plus délié de la scène hollandaise,
matricule T99, incontournable gang, sort de leur bonne ville d’Amsterdam pour un
vagabondage entre blues garage et rock scabreux. Quittant quelque peu les
chemins consensuels, battus par les vents nordiques, les comparses s’en sont
allés percutés leurs musiques rocailleuses avec parfois des effluves venues
d’ailleurs, européennes et africaines, en les détournant honteusement de
leurs origines pour les mettre au service diabolique d’un blues rugueux.
Vagabondages mais ancrage dans la chose roots.
T99 bouscule encore les genres, irrespectueusement, odieusement, sans vergogne,
rudoyant des sonorités railleuses et un peu punk, de la guitare très saturée de
Misha Den Harring, aux battements fébriles de Martin De Ruiter et au martèlement
de la basse Donné la Fontaine, ordonnant des arrangements étonnants, hors des
codes, posés avec une justesse diabolique.
Appareillant avec un tempo fou armé de lointaines couleurs à la Pretty Things,
le bateau tangue dangereusement entre surf rock décalé, blues hypnotique, rag
dantesque, rock titanesque, country boogie sauvage, mélopées poisseuses, riffs
hachés, solos célestes, jeu acoustique, jets électriques, et ballades suaves,
toutes des compositions vibrantes, toujours hallucinantes. Enveloppant l’objet
du délire dans un écrin sonore aux confins de l’alternatif, le combo, mine de
rien, chiade ses effets et pousse la chansonnette avec de belles mélodies et
d’intenses pièces surprenantes. Le sommet de la farce est sans conteste ce chant
à la gouaille française, ourdi sur fond de rythme "samba guinguette", nommé
"Fichez le Camp", aux paroles ambiguës truffées d’humour... La croisière
s’amuse, et nous aussi, sur des airs sortis de nulle part, parfois pimentés
d’une flûte ou d’un ukulélé, d’un banjo ou d’une trompette. A chaque vague, la
surprise, l’excitation d’une nouvelle émotion, d’un rythme curieux, d’une
musique sauvage. Il y a comme du Tarentino chez T99, l’image en moins, le son en
plus. Arrivé à bon port, dans un accès de liberté, ou de totale démence, T99
largue les amarres et vise l’excès avec un vent fou où mixages affolants,
arrangements monstrueux, instruments troubles et souffle divin se chamaillent
en un morceau à la Tom Waits, "She’s Still Around" dont les dernières notes sont
des pas disparaissant sur les quais enfin atteints... Un album dont on ne
lassera pas de s’enivrer abondamment, sans retenue et modération, à fêter avec
les démons enfin réveillés. Le meilleur cru du moment.
[Francis Rateau]
Dans la
WebTv : T99 "Sun" extrait de l'album "Vagabonds"